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Cet article a paru dans la revue L'Intervenant, Vol 30 no 01, octobre 2013

 

Au Menu : La légalisation du cannabis

 

par Maurice Hotte, travailleur social

 

 

Les Canadiens auront souvent l’occasion au cours des prochaines années de retrouver la question de légalisation de la marijuana au menu de la politique fédérale. Tout récemment, le chef du Parti libéral du Canada (PLC), Justin Trudeau était sans équivoque  dans ses propos sur la décriminalisation du cannabis lors d'un rassemblement à Kelowna, en Colombie-Britannique.

 

«En fait, je ne suis pas en faveur de la décriminalisation du cannabis. Je suis en faveur de sa légalisation.» Il a ajouté qu'il souhaite que le cannabis soit taxé et réglementé. « C’est un des seuls moyens de l’éloigner des mains de nos jeunes, parce que l’actuelle guerre à la drogue, le modèle actuel, ne fonctionne pas », a-t-il lancé à un groupe de citoyens. Donc, en d’autres mots, il veut réglementer la marijuana comme l’alcool et le tabac.

 

Le débat sur la légalisation de la marijuana refait donc surface après une dizaine d’années passées à l’ombre. Rappelons que ce sont ces mêmes libéraux qui avaient en 2002, suite au rapport Nolin (Rapport du comité spécial du sénat sur les drogues illicites qui recommandait la légalisation du cannabis), l’intention non pas de légaliser, mais plutôt de présenter un projet de loi visant à décriminaliser le cannabis.

 

Aucune suite ne fut donnée, car simultanément, le scandale des commandites (2004-2005) et  la commission Gomery avaient chassé les libéraux du pouvoir au détriment des conservateurs qui eux, ont légué à l’oubliette ce projet de loi. Depuis leur arrivée au pouvoir, les conservateurs plaident pour un resserrement des règles et des peines concernant l’usage des drogues.

 

Advenant que les libéraux soient portés au pouvoir à la prochaine élection et que le gouvernement Trudeau  enclenche le processus de légalisation. Il y aura d’abord la mise sur pied d’une commission, de comités d’experts, des rapports de recherches scientifiques et des audiences publiques à travers le Canada. Dans ce processus, des scientifiques de réputation internationale, des groupes de discussion et recherches analyseront et passeront au peigne fin toutes les études et questions crédibles à cet égard.

 

La légalisation ne se fera pas en cliquant des doigts. Il y aura d’abord des farouches opposants, dont le parti conservateur qui a déjà réagi vivement suite aux propos de Trudeau.  Il y aura aussi tous les organismes représentants les services de police canadiens qui seront contre ainsi que le gouvernement américain qui a déjà mis en garde le Canada, de lourdes représailles (douanes fermées- fouilles) face à cette éventualité. Pourtant, ce même gouvernement a beaucoup de difficulté à faire appliquer sa propre loi chez eux. De nombreux États américains décriminalisent et certains, ont légalisés la marijuana dans sa propre cour.

 

 

Cette démarche aura à mon avis, manifestement les mêmes résultats, conclusions et recommandations que le rapport Nolin en 2002 et de la commission Le Dain en 1973. Tout comme le rapport Nolin, la commission Le Dain souhaitait une politique plus souple notamment concernant l’usage du cannabis.  Le gouvernement canadien qui était à l’époque sous le règne de Pierre-Elliott Trudeau notamment le père de Justin Trudeau, avait toutefois manifesté son intention de légiférer dans ce sens, mais n’y donna jamais suite.

 

Quarante ans plus tard, on constate qu’une bonne majorité de Canadiens semble en faveur de la légalisation. D’autres sont catégoriquement contre et certains sont ambivalents. Évidemment, il y a une question économique de plusieurs milliards de dollars entourant cette question, mais une des plus importantes, celle qui alimente les discussions, sera entre autres, de connaître l’impact qu’aura une telle décision auprès des jeunes. La plupart des gens qui sont contres ou ambivalents le sont par crainte que la légalisation du cannabis incite davantage les jeunes à consommer et conséquemment,  que cela favorise de nombreux problèmes sociaux. C’est ce questionnement qui alimente les discussions et inquiétudes.

 

Les recherches scientifiques démontrent toutefois que le cannabis est moins dommageable que le tabac et l'alcool. Aucun décès n’est directement attribué à l’usage du cannabis. De plus, il a été démontré dans le rapport Nolin que le cannabis n'était pas en soi une cause de délinquance, de criminalité et qu'il n'était pas une cause de violence. Il est de plus établi que la consommation de cannabis n'est pas une drogue d'escalade qui mène vers des drogues plus fortes.

 

Certainement, le cannabis est une drogue qui peut causer la dépendance, et ce, au même titre que l'alcool et la nicotine. À cet égard, il serait préférable que les gens s'abstiennent de toutes drogues qui causent la dépendance. Mais la réalité au Québec et au Canada démontre que 30 à 50 % des jeunes âgés de 12 à 17 ans consomment du cannabis et notre expérience sur le terrain pense qu’il y a entre  15 et 40 % des adultes âgés de 18 à 40 ans qui consomment eux aussi, du cannabis, et ce, malgré son illégalité. Il faut se rendre à l'évidence que les gens font le choix de consommer du cannabis en dépit des politiques répressives actuelles.

 

Mouvements mondiaux

 

Depuis quelques années, l’on remarque un mouvement presque mondial où de nombreux pays se positionnent autrement sur la question du cannabis. En Europe, différents pays se prononcent en faveur de politiques plus souples concernant cette question. Le Portugal par exemple, a décriminalisé  il y a une dizaine d’années la consommation et l'acquisition de cannabis pour usage personnel. En Espagne, la production de cannabis est autorisée dans un cadre privé.

 

Tout récemment, l’Uruguay est dans un processus visant à légaliser, ce qui ferait de ce petit pays sud-américain le premier au monde où l'État contrôlerait la production et la vente du cannabis. En Australie, le cannabis est décriminalisé dans quelques États, ainsi qu’en République tchèque, et au Pérou. D’autres  pays  dont la Belgique, le Danemark, les Pays-Bas, l'Italie et l'Allemagne ont des politiques où la consommation de cannabis est tolérée - et donc pas punie pénalement.

 

Les Pays-Bas ont été un des pays ayant le plus étudié cette question.  Bien que techniquement illégales, depuis 1976, la vente et la consommation de cinq grammes de cannabis par personne au maximum sont tolérées dans les "coffee shops". Il ne s'agit pas d'une légalisation de la consommation, c'est une tolérance, une "dépénalisation".

 

Dans tous ces pays, les recherches sur le taux de consommation démontrent qu'ils sont plus bas que dans les pays où le cannabis est prohibé. Depuis plusieurs années, les différentes commissions internationales d'enquête visant à décriminaliser la consommation de cannabis par les principales instances de ces pays (justice, police, ministère de la Santé) s'accordent pour affirmer que l'usage du cannabis n'induit pas de risque important pour la santé des consommateurs.

 

De nombreux États américains (17 au total sur 50 états) ont décriminalisé le cannabis, et ce, malgré de sérieuses mises en garde par la DEA (Drug Enforcement Administration) et les menaces de la Maison Blanche. Plus récemment, La Chambre des représentants du Vermont a adopté il y a quelques semaines un projet de loi qui décriminalise la possession de petites quantités de cannabis. La proposition prévoit remplacer les amendes criminelles par de simples amendes. Ainsi, un adulte en possession d'une once (28 grammes) de marijuana recevra une contravention au même titre qu'une infraction au Code de la route. Le gouverneur de l'État devrait ratifier la nouvelle loi d'ici quelques semaines, faisant du Vermont le 17e État américain à décriminaliser la possession de petites quantités de marijuana.

 

En décembre 2012, l’État du Colorado et de l’État de Washington sont allés plus loin et légalisé le cannabis à des fins de consommation personnelle. Dans ces deux États de l'Ouest, la production et la vente de marijuana seront supervisées par les autorités locales, alors que la consommation et la possession deviendront légales pour les plus de 21 ans. Au Colorado par exemple, l’on ne parle pas de légalisation, mais bien de régulation du cannabis. Dans cet État, le maximum autorisé est de 28 grammes de marijuana et chaque adulte y est autorisé à cultiver un maximum de six plants à l’intérieur de sa résidence.

 

Le Mexique avait en 2009 décriminalisé le cannabis et songe  maintenant à légaliser. Il est évident que le Mexique se sent libéré de la pression de Washington. Depuis que les États du Colorado et de Washington ont légalisé le cannabis, les États-Unis, historiquement obsédés par la guerre contre la drogue, se trouvent désormais dépourvus de solides arguments face à leurs voisins du Canada et du Mexique pour les dissuader d'avancer vers la légalisation.

 

Plus près de nous, à  Vancouver, il n’est pas rare de voir des gens fumer du cannabis en pleine rue sans aucune inhibition ni peur des représailles. On y retrouve même des coffee shop (Le  New Amsterdam café et le Blunt Brothers café) où il est possible d’y fumer de la marijuana et qui sont tolérés par la police.

 

Déjà depuis quelques années, une coalition en Colombie-Britannique  (Stop the Violence BC)  milite pour la légalisation du cannabis. La vente de la marijuana devrait être réglementée en Colombie-Britannique, affirme cette coalition composée d'universitaires ainsi que d'experts en santé, en maintien de l'ordre et en droit qui veulent changer les lois sur le cannabis. Un ancien juge de la Cour suprême de la province et membre de la coalition, Ross Lander, affirme qu'il n'existe aucun moyen efficace pour dissuader les jeunes de fumer de la marijuana. L’ancien procureur général  libéral de la Colombie-Britannique Geoff Plant, et son ancien premier ministre NPD, Ujjal Dojanjh, ont eux aussi demandé la légalisation et la réglementation du cannabis.  De plus, une coalition de maires de la Colombie-Britannique  demande la décriminalisation de la marijuana sont  cosignataires d'une lettre envoyée aux chefs des partis politiques provinciaux et qui leur demande de militer pour la décriminalisation de la marijuana.

 

 

Une approche intelligente

 

Comme travailleur social spécialisé en prévention/éducation des drogues depuis plus 20 ans, je suis d’avis qu’une légalisation contrôlée et réglementée du cannabis au même titre que l’alcool et le tabac, serait somme toute, une approche moderne et intelligente. Il ne s’agit pas de banaliser le cannabis. Mon expérience professionnelle auprès des adolescents et des familles démontre que les lois actuelles ne sont pas efficaces, ce qui favorise des effets pervers au niveau de l’éducation.

 

Conséquemment, la grande majorité des jeunes n’accordent aucune crédibilité sur l’éducation qu’ils reçoivent au niveau des drogues. De ce fait, la plupart de ceux-ci banalisent l’usage du cannabis et des autres drogues ce qui favorise, des comportements et conduites à risque. Il est alors difficile de responsabiliser les jeunes face aux drogues et ainsi réduire les risques de leur consommation.

 

Il est beaucoup plus facile d’aborder l’alcool et le tabac avec les jeunes et des responsabilisés face à  leur consommation. En effet, comme ces produits sont réglementés et contrôlés, l’éducation se fait plus facilement. De plus, les statistiques démontrent des résultats encourageants sur le tabagisme et l’alcool chez les jeunes; Au Québec, le taux de tabagisme chez les jeunes du secondaire est passé de 23% en 2002 à 15% en 2008. En fait, plus de jeunes fument de la marijuana que du tabac.

 

On constate également, une baisse remarquable de décès relié à l’alcool au volant. La SAAQ (Société d’assurance automobile du Québec) montre qu’entre 1978 et 2008, le nombre de décès imputables à l'alcool au volant est passé de 800 à 200. Cette baisse exceptionnelle avouons-le, est très intéressante. Les jeunes sont bien sensibilisées à la conduite auto intoxiquée à l’alcool. Que ce soit par des campagnes de masse, des ateliers à l’école ou autres, les jeunes savent et connaissent la réalité de la conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool.

Lorsque l’on constate que la répression n’a pas donné les résultats attendus avec le cannabis et les autres drogues, on peut tout de même avancer sans trop se tromper, que la prévention a donné des résultats intéressants avec le tabac et avec l’alcool au volant.

 

On dit souvent que le message ne passe pas auprès des jeunes et que si, de nombreux jeunes ont cessé de fumer la cigarette et que plusieurs centaines de vies humaines ont pu être épargnées avec l’alcool au volant au cours des trente dernières années, on peut tout de même dire que le message a passé pour plusieurs jeunes. Donc, la prévention donne des résultats ! C’est ce type d’approche intelligente qu’il faut favoriser auprès des jeunes concernant la consommation de cannabis.

 

Enfin, tous sont d’accord pour vouloir protéger notre jeunesse des drogues. La légalisation du cannabis permettrait d’établir une séparation avec le marché des drogues dures. Les consommateurs n'achèteraient plus de cannabis d'un trafiquant qui vend aussi des speeds, de l’ecstasy ou de la cocaïne. Il est préférable à mon avis, qu’un jeune de 13-14 ans achète du cannabis dans un dépanneur plutôt que chez un trafiquant. Au moins, le jeune est en sécurité dans le dépanneur et ne se fera pas offrir des drogues plus fortes.

 

C’est tout à fait ce  que mentionne le rapport Nolin en faisant référence que le cannabis peut également servir de «passerelle» lorsque des consommateurs, surtout des jeunes, s'approvisionnent auprès d'un trafiquant qui a tout à gagner de les convaincre d'acheter des substances beaucoup plus toxicomanogènes.

 

Ces futurs débats permettront aussi de se questionner sur les 900$ millions de dollars dépensés annuellement pour le maintien de cette vieillerie de loi pour la répression. D’ici ce temps, des dizaines de milliers de Canadiens continueront de se faire arrêter par des policiers lourdement armés qui leur passeront les menottes telles des voyous et seront accusés au criminel d’avoir consommé un ‘’petit joint de pot’’; alors que très peu de financement est alloué à la prévention.

 

Il est donc évident que de nombreux débats sont à prévoir sur cette délicate question de la légalisation. Nombreux seront les spécialistes et les pseudos-spécialistes à débattre de la question au cours des prochaines années. Ces débats favoriseront de part et d'autre des réactions parfois émotives qui remettront en question nos valeurs fondamentales sur l’usage du cannabis.

 

Il va de soi que la position exprimée ici favorise l'éducation, la prévention et les thérapies qui sont à mon avis, les meilleurs outils contre les problèmes que peut occasionner la consommation de tabac, d'alcool ou de cannabis.

 

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