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Cet article a paru dans la revue : L'Intervenant, Vol 46 no 02 janvier 2010

 

 

« T'en es où ? » Renouvelé l'éducation sur les drogues

 

Par Maurice Hotte, travailleur social

 

Depuis près de 20 ans, lors de la  3e semaine du mois de novembre revient la semaine de la prévention des toxicomanies. Chaque année, le ministère de la Santé et des Services sociaux instaure un  thème nouveau qu'on souhaiterait finalement... être accrocheur chez les jeunes. Que ce soit les thèmes : «Parlons-en ouvertement»; «Quand je serai grand, je serai comme toi»; «Parlons avec nos ados»; etc. Cette année, le thème : « T'en es où ? » tente de rejoindre les jeunes consommateurs pour les faire réfléchir sur leur consommation de drogues. Lorsque l'on constate le taux élevé des jeunes qui consomment du cannabis, de l'ecstasy ou encore des amphétamines (speed); il est évident que ces campagnes dites de prévention n'ont pas l'impact attendu chez les jeunes.

 

 

Que ce soit lors de conférence de presse conjointe de la Sûreté du Québec avec Santé Canada qui sonne l'alarme en soulignant que les usagers d'ecstasy ou de speed jouent à la roulette russe. Que ce soit Canal Vie qui présente un documentaire-choc sur les conséquences désastreuses des drogues chez les jeunes en milieu scolaire. Que ce soit un coroner qui s'inquiète de la conduite automobile des jeunes intoxiqués aux drogues. On dit tout le temps que le message ne passe pas chez les jeunes ! Tous les intervenants concernés par cette problématique sont d'accord sur ce point. On peut blâmer les écoles par leur manque de ressources en milieu scolaire, blâmer les parents qui sont une chose facile à faire ou encore blâmer les jeunes d'immaturité, etc. Évidemment, la drogue est un sujet drôlement intéressant pour la police et les médias. Les curieux sont bien souvent fascinés par toutes les histoires qui sont reliées à ce monde et surtout les histoires dramatiques des consommateurs de drogues.

 

 

Ces sujets traités par les médias sont reçus comme de véritables cris d'alarme et plus particulièrement quand il est sujet des jeunes en milieu scolaire. On dénonce souvent le manque de ressources spécialisées, mais surtout, les médias insistent toujours sur  les consommateurs problématiques de drogues. Cette façon de traiter la nouvelle est rentable et percutante,  ce type de nouvelle attire de grosses cotes d'écoute. Il est évidemment plus facile de mettre l'accent sur les consommateurs problématiques de drogues par rapport aux usagers occasionnels. Cette façon de présenter la drogue et ses consommateurs contribue à alimenter l'idée que les drogues illégales sont des drogues qui mènent inévitablement à la déchéance. Ce qui véhicule l'équation que l'usage de drogue amène assurément à la toxicomanie qui elle, est associée par la bande à la criminalité. Ce qui n'est pas la réalité. En fait toutes les études sérieuses démontrent qu'environ 5 % des jeunes développeront une toxicomanie tout comme plus ou moins 5 % de la population ont un problème sérieux d'alcool. Une chose est sûre, les problèmes liés à la toxicomanie au Canada coûtent près de 4 $ milliards par années aux contribuables.

 

 

Au  Québec,  à l'âge de 17 ans, 50 % des jeunes auront déjà fumé du cannabis et que près de 30 % de ceux-ci en consomment régulièrement. Dans les années 1970 et au début des années 1980, c'était environ 10 % des jeunes qui fumaient régulièrement du cannabis, soit une augmentation de plus de 200 %. Cette réalité sociale signifie que dans une école secondaire de 1000 élèves, 300 de ceux-ci consomment régulièrement du cannabis. Il ne faut pas oublier que ces jeunes qui fument du cannabis en achètent aussi auprès de pushers. Ces derniers ont souvent d'autres types de drogues beaucoup plus dangereuses à vendre dont ils savent très bien promouvoir, par exemple: l'ecstasy, amphétamine, LSD, GHB, etc. Et, que près de 20 % des jeunes auront aussi consommé des speeds et qu'un autre 15 à 20 % auront essayé l'ecstasy.

 

 

 

 

 

Un échec sur toute la ligne

 

 

La semaine de prévention de la toxicomanie est une recommandation du rapport Bertrand du groupe de travail sur la lutte contre la drogue en 1990. Le Rapport Bertrand se voulait mobilisant auprès des acteurs qui interviennent auprès des jeunes et plus particulièrement, ce rapport recommandait aux commissions scolaires d'être la pierre angulaire d'un nouveau départ pour diminuer le nombre de consommateurs de drogues.

 

 

Lorsque l'on constate les statistiques, il est certain que la prévention en milieu scolaire n'a pas livré la marchandise c'est-à-dire, de diminuer le nombre de consommateurs de drogue. Pourtant, le rapport Bertrand recommandait que le ministère de l'Éducation, les commissions scolaires et les établissements d'enseignement privés rendent disponibles des ressources spécialisées en toxicomanies (éducateur en prévention des toxicomanies EPT) dans les écoles secondaires du Québec (1 équivalent temps plein pour 3000 élèves). Ayant été de cette première vague de cette mesure EPT, celle-ci a été reçue à l'époque avec beaucoup de réserve par le milieu scolaire qui devait dès lors avouer que leur école était aux prises avec des élèves qui consommaient des drogues. Plusieurs directions d'écoles peu soucieuses de l'importance de la mesure EPT ont octroyé ces postes à des enseignants pour combler leurs tâches ou à des intervenants sociaux sans formation minimale en toxicomanie. D'autres écoles utilisaient cette mesure EPT pour développer une approche de dépistage systématiquement des élèves consommateurs de drogues ou encore utiliser ces budgets pour les chiens renifleurs. Assurément, ce type d'approche ne cadrait pas avec les recommandations du rapport Bertrand et conséquemment, ces interventions répressives appelées prévention en milieu scolaire ont rapidement perdu toute crédibilité auprès des jeunes. Lorsque l'exigence des restrictions budgétaires a frappé de plein fouet le réseau scolaire dans les années 1999-2000, la mesure de prévention EPT a écopé en priorité dans bien des milieux scolaires, qui avouons-le, faisait bien l'affaire de plusieurs directions d'école.

 

 

Depuis plusieurs années déjà,  la majorité des écoles a abandonné cette mesure EPT. En 2009, tel que le soulignait Canal Vie dans son documentaire: La seule répondante pour tous les services de toxicomanie de la Commission scolaire de Montréal, qui représente un total de 90 000 élèves, travaille seulement deux jours et demi par semaine. Quant aux écoles qui disposent encore de maigre budget en prévention des toxicomanies, celui-ci est souvent attribué a du contrôle social auprès justement des jeunes consommateurs.

 

 

Devant l'ampleur de la situation et à défaut d'offrir de véritables ressources aidantes, les écoles  ont on su par contre développer, des politiques coercitives en matière de drogue. Ces politiques appelés bien souvent prévention en milieu scolaire indiquent quelles sont les procédures à adopter à l'égard des élèves pris à consommer ou à vendre des  drogues. Que plusieurs écoles ont déjà en place des systèmes de surveillance chargée entre autres, de  localiser les élèves pris à consommer des drogues pour soit  les sanctionner ou les exclure de l'école. En agissant ainsi avec ces politiques de tolérance zéro, l'école démontre être sans pitié pour les élèves qui consomment des drogues, cela sécurise les parents et la réputation de l'école est ainsi intacte.

 

 

 

 

 

Renouvelé l'éducation sur les drogues

 

 

Malgré les ateliers de prévention, des campagnes d'éducation, de la guerre à la drogue menée par les services policiers, rien n'arrête l'offre et la demande. Devant cette réalité sociale où de nombreux jeunes font tout de même le choix de consommer des drogues, il est alors essentiel de les aider dans une véritable démarche visant à réduire les risques de leur consommation. Le coût des soins de santé extraordinaire imputable à la toxicomanie est inquiétant et de nouvelles pratiques doivent être élaborées. A cet effet, nous croyons qu'une mesure d'éducation renouvelée auprès des jeunes, qu'ils soient consommateurs de drogues ou non, serait appropriée. Une éducation sur les drogues semblables à celle effectuée avec l'alcool, c'est-à-dire, qui montre comment consommer de façon sécuritaire, quand et dans quel contexte. Une approche visant à réduire les risques et qui vise la responsabilisation des jeunes face aux drogues.

 

 

Notre expérience sur le terrain depuis près de 20 ans nous a prouvé : que les jeunes veulent des informations objectives sur la consommation des drogues. Que ceux-ci nous disent que les ateliers sur les drogues présentées en milieu scolaire sont souvent inefficaces, parfois même contre-productives, car  incomplètes, répressives et tendancieuses. Que ceux qui font usage de drogues sont peu informés sur les méthodes de consommation et sont peu renseignés sur la réduction des risques lors de la consommation de certaines drogues. Nous sommes d'avis que tout jeune confronté à cette réalité où il peut se laisser séduire ou tenter par des drogues doit recevoir les vraies informations et tous les conseils pouvant l'aider à réduire les risques, c'est-à-dire de s'assurer de sa sécurité et celle des autres, au cas où, il serait tenté ne serait-ce qu'une seule fois, d'expérimenter les drogues.

 

 

Contrairement aux messages et interventions orientées uniquement sur les risques et qui ont comme objectifs l'abstinence ou la non-consommation, le message à transmettre aux jeunes doit assurer une crédibilité et être aidant. Il est important d'éduquer les jeunes qui font le choix de consommer des drogues sur la réduction des risques qui vise à minimiser les conséquences en termes de soin de santé.

 

 

 

 

 

Concrètement, il ne s'agit pas de banaliser la consommation des drogues. Ce type d'approche de réduction de risque ou de méfaits est déjà utilisé dans des contextes qui favorisent la responsabilisation des comportements. Que ce soit lors de l'Opération Nez Rouge, de la distribution de seringues ou de condoms, des timbres de nicotine, etc. Au Québec, la réduction des risques appelée Réduction des méfaits est la même approche utilisée par de nombreux organismes communautaires, centres de réadaptation, les établissements de détention, etc. Selon l'Association des intervenants en toxicomanie du Québec, réduire les méfaits ou les risques c'est atténuer les répercussions négatives associées à la prise de drogues légales ou illégales, pour la personne qui consomme et son entourage (parents, enfants, etc.). Pour y arriver, l'approche de réduction des méfaits favorise la prise en charge individuelle et collective des consommateurs de drogues en les sensibilisant et en agissant avec eux pour 1. Les outiller afin qu'ils adoptent des comportements responsables 2. Qu'ils fassent des choix éclairés en matière de consommation et 3. Répondre, entre autres, à leurs besoins de base. Qu'il est aussi prouvé que cette approche n'encourage pas la consommation de drogues. Elle vise davantage à donner des « outils » aux consommateurs de drogues sans juger leur choix. Il revient à la personne de décider : l'abstinence ou un changement de comportement dans sa consommation sont des options pouvant être envisagées. Toutefois, l'approche se veut respectueuse  de la décision de chacun.

 

 

 

 

 

T'en  es où : Le vrai message

 

 

Il est important que les jeunes, qu'ils soient des usagers de drogues ou non, ne sachent pas uniquement que les drogues soient dangereuses et puissent causer la dépendance, ils le savent déjà. Tout comme ils savent que l'alcool peut causer l'alcoolisme. Il faut que ceux-ci  connaissent aussi les méthodes de consommation les moins à risques pour leur éviter des problèmes en termes de soins de santé. Ces manques d'informations se traduisent souvent en prise de risque avec des drogues souvent méconnues et dangereuses achetées d'un pusher. À défaut de savoir comment consommer, à quelle fréquence, quel dosage pour telles ou telles drogues, cela favorise des problèmes en soin de santé tels : abus, prises de risques, accidents; bad trip, intoxication  sur de longues périodes, intoxication grave, faute bien souvent de savoir comment. En ce moment,  seuls les pushers s'improvisent comme étant des pseudo - pharmaciens auprès des jeunes qui achètent leurs substances. Il faut que les jeunes sachent également qu'il est préférable de fumer le cannabis en joint en non-pas dans une bouteille trouée, car cela comporte trop de risque; que la consommation de cannabis provoque aussi les facultés affaiblies; qu'il est important d'attendre 45 min à 60 min. avant de conduire après avoir fumé du cannabis; qu'une pilule d'ecstasy ou d'amphétamine peut prendre plus de 2 heures à faire effet; qu'une demi-ecstasy au lieu de deux ou trois pilules fait bien souvent l'affaire; qu'il est préférable d'avaler une amphétamine plutôt que de la sniffer; que lors d'une soirée bien arrosée de drogues diverses; qu'un chauffeur désigné est aussi indiqué; l'importance d'aviser ses amis des drogues consommées lors d'une soirée; etc. Toutes ces informations importantes ne sont jamais présentées lors des ateliers en milieu scolaire. On insiste uniquement sur les dangers et ces ateliers ne visent que la non-consommation. Que de responsabiliser risque fortement d'être plus efficace que de réprimer.

 

 

Évidemment, ce type d'approche peut difficilement s'appliquer dans le milieu scolaire qui n'a pas l'autorité morale pour appliquer une telle approche avec des substances illégales comme les drogues. Par contre, le milieu communautaire comme le fait notre organisme, peut très bien dans la cadre de ses activités transmettre ces informations pertinentes et aidantes.

 

 

Récemment, Le ministère de l'Éducation soulignait en grande pompe sa volonté de diminuer le décrochage scolaire. Dans cette volonté, le ministère de l'Éducation doit s'ouvrir les yeux et constater que les jeunes qui abusent des drogues sont assurément des décrocheurs. Pour souhaiter améliorer la situation, il est impératif que le milieu scolaire offre dans ses services complémentaires, davantage d'aide aux élèves vivant des difficultés d'ordres psychosociales de toutes sortes. Donc, d'offrir non seulement des intervenants qualifiés en toxicomanie pour les activités d'éducation et pour les élèves vivant ces difficultés, mais aussi d'offrir de véritables ressources d'aides aux élèves en difficulté avant que leur situation se détériore. La littérature démontre clairement que ces difficultés d'ordres psychosociales favorisent entre autres,  l'abus de consommation de drogues. Il ne faut pas oublier que la toxicomanie est la résultante d'un ensemble de facteurs psycho- sociaux qui s'est échelonnée bien souvent sur quelques années.

 

 

Le ministère de l'Éducation ne doit pas faire la sourde oreille comme le fait sa  ministre Courchesne lorsque questionnée sur l'état de la situation des drogues dans les écoles. Ces gens de l'éducation doivent une fois pour toutes se sortir la tête du sable, reconnaître l'urgence d'agir, s’asseoir et développer des véritables ressources pour les jeunes qui vivent des difficultés. Que le manque de ressources professionnelles pour les jeunes en difficultés favorise aussi  le désintérêt pour l'école, l'absentéisme, le décrochage et dans certains cas,  le suicide. Qu'au Québec, nous sommes les champions de toutes ses problématiques. Qu'à défaut de s'ouvrir les yeux devant cette situation très préoccupante, le taux de décrochage, du suicide et celui de la consommation des drogues risque au contraire d'aller en s'accentuant !

 

 

Quant au ministère de la Santé, celui-ci doit trouver du financement pour des idées nouvelles et encourageantes. Les parents, les nombreux payeurs de taxes et les acteurs concernés s'attendent à ce que des pratiques prometteuses et efficaces soient mises de l'avant en matière de santé publique.

 

 

Somme toute, le slogan de la semaine de toxicomanie : T'en es où ? Aurait dû être dirigé vers ceux qui élaborent actuellement ces programmes de prévention axés sur la non-consommation et qui n'ont, avouons-le, aucun effet dissuasif. On dit que le message ne passe pas. Et, si on changeait le messager

 

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