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La conduite auto intoxiquée: une question de responsabilité

 

par Maurice Hotte, travailleur social

 

 

Cet article a paru dans la revue l'Intervenant -juillet 2011 Volume 27 no 04

 

Depuis quelques mois, voire quelques années, la conduite automobile chez les jeunes intoxiquées à l’alcool préoccupe grandement. Parallèlement, ces jours-ci, Éduc-alcool lançait une offensive sous le thème ‘’quand on abuse de l’alcool, c’est notre fierté qui en prend un coup » en faisant référence aux débordements de la fête nationale à Québec. En fait, c’est bien reconnu, les Québécois aiment bien prendre un p’tit coup et avoir du plaisir lorsque l’occasion se pointe. Évidemment, quand tout se déroule dans la sécurité de chacun, il est bon de prendre un verre et s’amuser !

 

Pour certains, les soirées festives se termineront peut-être dans l’anxiété, à l’hôpital et parfois des familles seront démolies. Tous ont vu à la télé ces images horribles de jeunes adultes décédés dans des collisions spectaculaires. Nous avons aussi vu ces beuveries et bagarres lors de la fête nationale et cela, pas uniquement à Québec. En effet, l’été passé lors de ces mêmes festivités, il y a aussi eu une émeute à Gatineau. Dans la plupart des cas, ces accidents d’autos meurtriers, beuveries et batailles se produisent lors de rassemblement de jeunes (16-24 ans), souvent lors des journées de congés tels les fins de semaine, tard la nuit, causés par de jeunes hommes, souvent très intoxiqués à l’alcool. Ces phénomènes où l’alcool est en cause apportent les gens à émettre leurs opinions et suggestions dans le but de trouver des solutions.

 

D’abord concernant la conduite auto intoxiquée à l’alcool, tout un chacun en passant par les recommandations du coroner Garneau ont émis des suggestions pour tenter de freiner cet élan meurtrier. Que ce soit un couvre-feu, un régulateur de vitesse ou autres, chacun y va de son grain de sel. Assurément, lors de ces accidents qui bouleversent la vie de beaucoup de monde, des motions de blâmes sévères sont directement dirigées envers ces jeunes fautifs, mais aussi, par la bande envers l’ensemble des jeunes, des écoles, les parents et la maudite boisson !

 

Selon la société d’assurance automobile du Québec (SAAQ), ce fléau représente annuellement, seulement en frais d'indemnisation des victimes de la route, une facture globale de près de 100 millions de dollars pour les Québécois. Sur la route, un accident mortel sur trois est directement lié à l’alcool. Il ne faut pas penser non plus que ce sont uniquement des alcooliques qui causent ces tragédies. En fait 85 % des accidents dus à l’alcool, les conducteurs concernés sont des buveurs occasionnels.

 

Paradoxalement, l’on constate toutefois, en près de trente ans, une baisse remarquable de décès relié à l’alcool au volant. En effet, la SAAQ montre qu’entre 1978 et 2008, le nombre de décès imputables à l'alcool au volant est passé de 800 à 200. Cette baisse remarquable avouons-le, est très intéressante. On dit souvent que le message ne passe pas auprès des jeunes et que si, plusieurs centaines de vies humaines ont pu être épargnées au cours des trente dernières années, on peut tout de même dire que le message a passé pour plusieurs ! Les jeunes sont, à notre avis, et c’est également de l’avis de la SAAQ assez bien sensibilisée à la conduite auto intoxiquée à l’alcool. Que ce soit par des campagnes de masse, des ateliers à l’école ou autres, les jeunes savent et connaissent la réalité de la conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool.

 

Évidemment, comme société, on doit se réjouir des pas-de-géant effectués depuis 30 ans concernant l’alcool au volant, mais, quand est-il de la conduite avec les facultés affaiblies par les drogues ?

 

Un p’tit joint…pas de problème !

 

Comme mentionné, les Québécois aiment bien les occasions de se retrouver entre amis et festoyer. La tenue entre autres des différents Bals des finissants, de la Fête nationale où l’alcool, la musique, les amis et la marijuana seront au rendez-vous. Compte tenu, de la popularité de la marijuana chez ce groupe d'âge, les occasions de se retrouver au volant, intoxiqué au pot seront véritablement présents lors de ces festivités. Sachant bien que pour eux, c'est tolérance zéro en ce qui concerne l'alcool et la conduite automobile, certains jeunes consommeront donc des drogues, accompagnées de boissons énergisantes en remplacement de l'alcool. Ces jeunes intoxiqués au cannabis ou autres drogues ne seront pas inquiets et conduiront leur auto sous prétexte qu'ils n'ont pas consommé d'alcool et que les policiers ne les arrêteront pas. Évidemment, la conduite automobile sous influence des drogues est aussi dangereuse et illégale, mais plus difficile à prouver par les policiers. Actuellement, un policier n'a pas le pouvoir, selon le Code criminel, d'exiger qu'un suspect fournisse une preuve sous la forme d'une substance corporelle aux fins de dépistage des drogues, sauf dans certains cas où le conducteur est inconscient. Soulignons également que pour traiter un cas de conduite sous l'effet de la drogue, le premier critère est que le policier soit en mesure de déterminer une présence d'alcool. Dans un cas où seule la drogue est en cause, les pouvoirs du policier sont alors diminués. On ne peut également pas se fier à un test d'urine puisque les traces de cannabis par exemple peuvent être décelées jusqu'à 4 à 6 semaines après la dernière consommation. Ce type de preuve ne serait pas recevable en cour.

 

Pour tenter de contrer ce phénomène, le service de police de la Ville de Los Angeles a développé depuis plus de 25 ans, le Drug Recognition Expert System (DRE). En effet, des policiers reçoivent une formation spécifique sur la détection de la conduite sous l'influence de substances psychoactives. Cette formation leur permet à titre d’expert d’arrêter une personne et de l’accuser de conduite avec les facultés affaiblies par les drogues. Évidemment que ce type d’intervention donne des résultats. La majorité des États américains et plusieurs pays d’Europe ont ce type d’expert depuis des années. Au Canada, ce type d’expert doit être en fonction depuis déjà 2008. Les services policiers canadiens doivent en principe tous avoir ce type d'expert, ce qui ne semble vraiment pas être le cas. L'an dernier, sur 873 accusations portées au Canada en vertu de la loi C-2, qui interdit de conduire sous l'effet de drogues, seulement 22 l'ont été au Québec. En comparaison, il s'est porté 371 accusations en Ontario, et 91 au Nouveau-Brunswick. Une autre étude a examiné plus de 14 000 décès sur les routes canadiennes de 2000 à 2006 : 33 % des conducteurs avaient pris au moins une drogue et 38 % de l'alcool. Différentes enquêtes et études du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies (CCLAT) ont aussi démontré que les drogues au volant sont aussi fréquentes que l'alcool. En Europe, on sanctionne depuis plusieurs années déjà la drogue au volant que ce soit en Allemagne, en Belgique, en Italie, au Royaume-Uni, en Suède et en Suisse. Fait intéressant, en Norvège, autant de gens sont arrêtés pour avoir conduit sous l'influence de drogues que sous celle de l'alcool.

 

Le phénomène est véritablement présent

 

Notre expérience professionnelle auprès des jeunes, nous démontre que la plupart de ceux-ci, y compris les adultes qui consomment des drogues sont à l’aise avec la conduite automobile intoxiquées aux drogues. En effet, pour ceux-ci, de conduire intoxiquée par exemple après avoir consommé de la marijuana ou d’être intoxiqué avec des drogues récréatives (speed, ecstasy…) n’a rien de dramatique. Que plusieurs conduisent intoxiqués, sans être inquiets de se faire pincer par la police. Tel que mentionné, les services policiers sont à développer leur expertise en ce sens, mais parallèlement, il faut éduquer et sensibiliser les consommateurs de drogues aux véritables dangers de la conduite auto intoxiquée aux drogues. Dans le but d’être aussi efficace qu’avec l’alcool au volant, il faut développer des stratégies multiples d’interventions qui combinent la prévention par des campagnes de masse, des activités de sensibilisation et par des mesures de contrôle.

Tout d’abord, l’éducation à faire ne doit pas uniquement se limiter à des affiches faisant référence à un jeune qui fume un joint de pot assis derrière le volant : ce genre de stratégie est très limité.  Il faut offrir des moyens de réduire les risques des drogues consommés au même titre que l’on fait avec l’alcool. Avec l’alcool, différentes stratégies sont développées visant à réduire les risques. Peu importe la stratégie utilisée, celle-ci vise toujours à responsabiliser les consommateurs d’alcool. Que ce soit avec l’opération Nez rouge ou des slogans « la modération à bien meilleur goût », « quand on abuse de l’alcool… » De ne pas participer au calage d’alcool, de conducteurs désignés ou autres, les gens sont sensibilisés et les résultats sont très encourageants. En ce moment, la seule approche faisant référence à la conduite automobile intoxiquée aux drogues vise uniquement la non-consommation. En fait, peu importe les motifs, la sensibilisation face aux drogues vise toujours l’abstinence et est en plus, très moralisatrice envers les consommateurs.  On sait que ce genre d’approche de nature répressive ne fonctionne pas auprès des jeunes et des adultes. Il faut développer des approches semblables à celles utilisées avec la consommation d’alcool, par exemple : quand, comment et dans quel contexte la consommation de cannabis, d’ecstasy, d'amphétamine (speed) ou autres seront sécuritaires, et ce, autant pour la conduite auto que tout autre contexte. 

 

Nonobstant que les drogues soient illégales, il faut se rendre à l’évidence qu’une bonne partie de la population fait le choix de consommer celles-ci et parfois de conduire intoxiquée. L’on sait aussi que le phénomène des drogues ne disparaîtra jamais; au contraire, il gagne du terrain tous les jours. Depuis 20 ans, il y a eu une augmentation de plus de 200 % de consommateurs de drogue ici au Québec et au Canada. Différentes hypothèses pourraient expliquer ce phénomène. Que ce soit une libéralisation de la consommation des drogues chez les ados et chez les adultes. Que ce soit dû au nombre impressionnant de drogues illégales à bon prix sur le marché. Que ce soit une plus grande tolérance sociale, parentale ou autre, les drogues illégales gagnent du terrain ! Constat d’échec ? On peut tout de même avancer sans trop se tromper que la majorité des usagers de drogues consomment occasionnellement de façon responsable, comme le fait la majorité de ceux qui consomment de l’alcool.

 

Il faut montrer aux jeunes comment fumer « du pot »

 

Nos groupes des discussions depuis plus de 20 ans avec les jeunes consommateurs de drogues nous montrent que ceux qui consomment des drogues parmi eux (sans en abuser) ne veulent pas cesser leur comportement. Toutefois, l’expérience nous démontre aussi que ces jeunes qui sont dans l’ensemble des consommateurs occasionnels et responsables sont ouverts à l’idée de mettre en pratique des comportements visant à réduire des risques des drogues qu’ils consomment. On montre aux ados comment se responsabiliser avec l’alcool sur le comment, quand et dans quel contexte consommé de l’alcool. On valorise ces comportements responsables avec l’alcool. N’est-ce pas ce que l’on souhaite lors de la préparation du Bal des finissants dans les écoles secondaires ? On dit aux ados de ne pas participer à du calage d’alcool ou de ne pas conduire après avoir bu ou embarquer avec quelqu’un qui a bu de l’alcool, mais on ne parle pas des drogues sauf de dire que c’est méchant ! ‘’Et si on faisait, la même chose avec les drogues’’ nous dit les jeunes’’? L’idée n’est pas de banaliser, mais de responsabiliser ! De responsabiliser un jeune au sujet des drogues ne signifie pas de l’inciter à consommer. En fait, c’est de démontrer à ce jeune en faisant appel à son intelligence, que l’on souhaite que celui-ci se responsabilise face à ses choix et qu’on tient à lui.

 

Actuellement, lorsqu’un jeune s’achète des drogues (mari, ecstasy, speeds, GHB…) auprès d’un revendeur, celui-ci ne le mets pas en garde quant aux possibles effets négatifs ou de l’impact entre autres sur la conduite auto intoxiquée; il est un vendeur de sensation et non pas un pharmacien! Conséquemment, les gens qui consomment des drogues doivent donc s’improviser, car souvent, ceux-ci ne connaissent pas les techniques les moins risqués, les véritables effets et les dangers associés à l’usage de telles ou telles drogues. Il ne faut pas oublier que les drogues ne sont pas des substances contrôlées par l’État comme l’alcool, donc, impossible de savoir vraiment la qualité de ces substances.

 

On sait que plusieurs personnes fument de  la marijuana pour les agréables effets qu’ils disent ressentir. Plusieurs aiment aussi, conduire sous les effets de la marijuana, en se disant plus relaxe et moins stressé. Ces personnes ont tout à fait raison quant aux effets relaxants par contre, les effets du cannabis apportent aussi de la somnolence, de l’hésitation, une moins bonne coordination, etc. Que lors de sorties dans les bars et boîtes de nuit, nombreux jeunes consommeront de l’ecstasy et ou du speed (parfois 2 -3 pilules) ou autres drogues et conduiront leur auto par la suite.

 

Il faut arrêter de se raconter des histoires, les drogues sont là pour rester. Pour souhaiter améliorer la situation entre autres de la conduite auto intoxiquée aux drogues, cela nécessite un plan d’action concret. Il faut montrer aux jeunes comme aux adultes qui consomment des drogues, les techniques les moins risqués dans le but de diminuer les risques non seulement sur la conduite automobile, mais aussi de diminuer les risques sur la santé, la sécurité et les coûts sociaux.

Concrètement, c’est de montrer à près de 75 % des jeunes (C’est-à-dire ceux qui consomment des drogues) de 16-24 ans, les meilleures techniques à utiliser pour diminuer les risques et ainsi, s’assurer de la sécurité de chacun.

 

Par exemple, on pourrait informer les jeunes sur le temps d’attente selon les drogues consommées avant de conduire, sur l’importance d’un conducteur désigné et  comment se responsabiliser entre amis lorsqu’il y a consommation de drogue.

 

En fait, ce n’est rien de compliquer, il faut juste le dire et redire afin que les jeunes soient conscients des dangers comme on le fait avec l’alcool. Les jeunes sont fondamentalement intelligents, mais de ne rien dire comme on fait a l'heure actuelle, valident ces comportements de conduite intoxiquée ou favorisent des prises de risques chez les jeunes.

 

Il faut cesser de faire l’autruche et de faire comme si ça n’existait pas. Il ne faut pas uniquement le dire, mais agir. Que si certains jeunes réduisent les risques, nous sauverons des vies, comme on l’a fait avec l’alcool. Ce genre de stratégie gagnante ne coûterait pas grand-chose à l’État, mais sauverait des centaines de vies humaines et des dizaines des millions de dollars en soins de santé entre autres.

Avec ces chiffres inquiétants du nombre de jeunes qui conduisent intoxiqués aux drogues : Qu’attend’ t’on pour former ces policiers experts et d’offrir une véritable éducation a nos jeunes ? Si on a réussi comme société l’énorme défi que représentait l’alcool au volant, l’on peut réussir aussi avec les drogues, mais va falloir s’ouvrir l’esprit. Les risques étant réels, il faut maintenant des campagnes de sensibilisation conjointe à la conduite auto intoxiquée aux drogues et/ou avec l’alcool. Ça, c’est efficace et c’est ce qu’aiment les payeurs de taxes.

 

Maurice Hotte, travailleur social

Spécialisé en éducation des drogues

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