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Cet article a paru dans La Presse le 7 avril 2016

 

 

 

 

Les bonnes raisons de réglementer la marijuana au Canada

 

Par Maurice Hotte, travailleur social

 

 

 

Le gouvernement fédéral compte adopter des lois pour encadrer la vente de marijuana. Depuis quelques mois déjà, de nombreux spécialistes se prononcent sur ce sujet délicat. Si, en 2004, le gouvernement libéral avait eu l'intention de décriminaliser la marijuana sans toutefois y parvenir, cette fois-ci semble le bon moment.

 

Fort de l'appui de 65% de la population canadienne sur ce plan, le premier ministre Justin Trudeau a confié le dossier de la légalisation de la marijuana à son député Bill Blair, ancien chef de la police de Toronto.

 

Présentement, seul l'usage médical de la marijuana est légal au pays. L'usage récréatif, la vente, la possession, la culture ou le transport de marijuana ne le sont pas - tout comme aux États-Unis, d'ailleurs.

 

On sait cependant que le gouvernement de Barack Obama a laissé les différents États légiférer depuis quelques années, à condition qu'un système de réglementation soit mis en place.

 

Le Colorado, l'Alaska, le District de Columbia, l'État de Washington et l'Oregon ont légalisé la marijuana à des fins récréatives. L'accès est limité aux adultes de 21 ans et plus, et d'ici quelques années, une douzaine d'autres États devraient eux aussi légaliser son utilisation - ou à tout de moins assouplir leurs politiques.

 

Il y a aussi ce petit pays de l'Amérique du Sud, l'Uruguay, qui aura été le premier pays du monde à légaliser la production et la distribution de marijuana, en décembre 2013, dans le but de contrôler le marché et de le soustraire au crime organisé. Après quelques années, la difficile application de cette loi donne des résultats intéressants, mais mitigés, surtout sur le plan de la distribution dans les pharmacies locales, qui collaborent plus difficilement.

 

 

Le modèle du Colorado

 

 

Il y a un peu plus de deux ans, le Colorado aura été le premier État américain à mettre en place une politique avant-gardiste qui, somme toute, semble donner des résultats fort intéressants.

 

Dans cet État, la production et la vente de marijuana sont supervisées par les autorités locales, alors que la consommation et la possession sont légales pour les gens de plus de 21 ans. Il est donc possible d'acheter de la marijuana à des fins de consommation personnelle dans un commerce spécialisé; de son côté, le gouvernement récolte les taxes et impôts des producteurs et vendeurs, qui sont désormais légaux. Il est aussi possible de faire pousser de la marijuana chez soi, si l'on est enregistré au préalable, conformément aux réglementations du ministère de la Santé de l'endroit.

 

Le «modèle du Colorado», selon l'expression de la Brookings Institution, ne vise pas à interdire ou décourager la consommation, mais bien à la réguler et la taxer, comme on le fait avec l'alcool.

 

Depuis l'entrée en vigueur de la loi perçue comme la «plus ambitieuse expérimentation sociale du XXIe siècle», Denver et le Colorado sont en plein boom économique. En 2015, c'est 996 millions $ qui ont été perçus en taxes sur la vente de marijuana, soit presque 50% de plus que l'année précédente. Selon le FBI, la criminalité a baissé de 10%. Le nombre d'accidents de la route aussi.

 

La légalisation de la marijuana a ainsi comme résultat la construction d'écoles, une baisse de la criminalité, la création de près de 20 000 emplois, une augmentation considérable du prix des maisons; et le tourisme connaît un boom incroyable.

 

 

Mouvement mondial

 

 

Depuis quelques années, on remarque à travers le monde l'adoption de politiques plus libérales sur la question de la marijuana.

 

Le Portugal, par exemple, a décriminalisé il y a une dizaine d'années la consommation et l'acquisition de marijuana pour usage personnel. En Espagne, la production de marijuana est autorisée dans un cadre privé. En Australie, la marijuana est décriminalisée dans quelques États, tout comme en République tchèque et au Mexique.

 

D'autres pays - la Belgique, la Suisse, le Danemark, les Pays-Bas, l'Italie, la Jamaïque et l'Allemagne - ont des politiques qui tolèrent la consommation de marijuana sans la punir.Les Pays-Bas ont été un des pays ayant le plus étudié cette question. Bien que techniquement illégale, la vente et la consommation de cinq grammes de marijuana par personne (au maximum) sont tolérées dans les «coffee shops» depuis 1976. Il ne s'agit pas d'une légalisation de la consommation: c'est une tolérance, une «dépénalisation».

 

 

Différents scénarios

 

 

Avec la légalisation, les gens s'interrogent sur la meilleure façon de commercialiser la marijuana.

 

Chacun y va de ses idées, se croisant les doigts afin d'éviter que les jeunes s'en procurent. Le scénario le plus souvent proposé: que la production et la distribution de marijuana relèvent du gouvernement, et que la vente ait lieu dans des commerces spécialisés.

 

Récemment, la première ministre ontarienne Kathleen Wynne se disait ouverte à ce que la marijuana soit vendue dans les LCBO - la SAQ ontarienne. Une importante chaîne de pharmacie canadienne se disait elle aussi intéressée. Certains intervenants pensent quant à eux que les entreprises qui ont déjà des permis du gouvernement fédéral pour faire pousser de la marijuana médicale devraient s'en occuper.

 

Certains pensent que le modèle du Colorado, avec ses plusieurs centaines de points de vente et ses dépanneurs spécialisés, serait le plus intéressant. D'autres croient plutôt que le gouvernement canadien devrait d'abord décriminaliser la consommation de marijuana, à l'image des 16 États américains qui ont choisi cette avenue. On sait toutefois que la décriminalisation ne règle rien quant à l'intervention du crime organisé: les consommateurs se procurent encore de la marijuana sur le marché noir.

 

 

Pour les bonnes raisons

 

 

Évidemment, de nombreux parents sont effrayés à l'idée que leur enfant se retrouve avec un nuage de fumée de marijuana au-dessus de leur tête.

 

Ils ont raison de s'inquiéter. La marijuana est une drogue qui peut causer la dépendance, au même titre que l'alcool et la nicotine. À cet égard, il serait préférable que les gens s'abstiennent. Mais il faut faire face à la réalité: au Québec et au Canada, de 30 à 50% des jeunes âgés de 12 à 17 ans consomment de la mari. Les jeunes choisissent déjà de consommer de la marijuana, et ce, en dépit des politiques répressives actuelles.

 

Évidemment, au delà de la question économique, le grand enjeu est l'impact d'une telle décision auprès des jeunes. La crainte que la légalisation incite les jeunes à consommer et cause de nombreux problèmes sociaux est bien réelle.

 

La nouvelle loi permettra-t-elle au gens de 18 ans et plus de se procurer de la marijuana, ou ce geste sera-t-il réservé aux 21 ans et plus comme au Colorado? Assurément, fumer du pot à 21 ans est une chose; en fumer à 18 ans, une autre; et en fumer à 14 ans, un geste inquiétant. Même si la future loi aura du mordant, les jeunes trouveront une façon de se procurer de la marijuana - ils le font déjà aisément.

 

Tous s'entendent pour protéger notre jeunesse des drogues. L'encadrement de la marijuana permettra d'abord de l'éloigner des drogues dures. Les consommateurs - jeunes et moins jeunes - ne se feront plus offrir de la marijuana par un trafiquant qui, souvent, offre aussi des drogues de synthèse dangereuses comme les méthamphétamines (speed), l'ecstasy, le fentanyl ou le crystal meth.

 

Évidemment, la consommation globale risque d'augmenter. On peut toutefois se rassurer grâce aux recherches scientifiques, qui démontrent que la marijuana est moins dommageable que le tabac et l'alcool. Citons un court extrait du très étoffé Rapport du comité spécial du Sénat sur les drogues illicites, comité présidé par le regretté sénateur conservateur Pierre-Claude Nolin, déposé en 2002: «Le Comité conclut que l'état des connaissances permet de penser que, pour la vaste majorité des usagers récréatifs, la consommation de cannabis ne présente pas des conséquences néfastes sur leur santé physique, psychologique ou sociale à court ou à long terme.»

 

Aucun décès n'est directement attribué à l'usage de la marijuana. De plus, il a été démontré que la marijuana n'était pas en soi une cause de délinquance, de criminalité ou de violence. Il est de plus établi que la consommation de marijuana ne mène pas nécessairement vers des drogues plus fortes, concluait le rapport Nolin.

 

De fait, plusieurs pensent qu'il est préférable qu'un jeune trouve le moyen de se procurer de la marijuana dans un commerce légal, plutôt que chez un trafiquant. Au moins, le jeune y est en sécurité et ne s'y fera pas offrir des drogues plus fortes. C'est tout à fait ce que mentionnait le rapport Nolin en soulignant que la marijuana peut parfois servir de «passerelle» lorsque des consommateurs s'approvisionnent auprès d'un trafiquant qui a tout à gagner de les convaincre d'acheter des drogues plus dures.

 

La sensibilisation et l'éducation sont des outils puissants. On n'a qu'à penser aux campagnes de prévention sur l'abus d'alcool et sur le tabac. Le gouvernement Trudeau s'est engagé à investir massivement dans de telles campagnes, notamment sur la conduite avec les facultés affaiblies par la marijuana.

 

De nombreux débats sont à prévoir sur la question. Les réactions seront parfois émotives. Il y aura certainement des ratés.

 

Peu importe la façon de procéder, un grand pas sera franchi pour la protection des jeunes. Ceux qui décideront un jour d'essayer la marijuana n'auront plus besoin, souhaitons-le, de s'adresser à des criminels pour s'en procurer... et se faire offrir des drogues dures et bien plus dangereuses.

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